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MODES DE SCRUTIN ET CHAMP POLITIQUE AU MAROC

 

                                                         

              Les modes de scrutin sont des techniques de répartition du nombre de sièges des députés en fonction du nombre des suffrages exprimés par les électeurs. La question des modes de scrutin semble être aussi ancienne que le droit constitutionnel (1) car elle détermine non seulement le paysage politique d’un Etat mais aussi le degré  de la stabilité des gouvernements en place. Considérés comme une pièce centrale de l’échiquier institutionnel, les modes de scrutin constituent la voie obligatoire pour pénétrer les arcannes des différents systèmes constitutionnels.

                 Apparus progressivement en Europe  avec l’extension du suffrage universel, ils ont évolué avec la marche de la démocratie d’abord sous une forme simplifiée à savoir  le mode de scrutin uninominal et majoritaire à un seul tour pour prendre d’autres variantes plus mathématisées et plus complexes   en vue de  répondre à des enjeux d’ordre  politique et  au souci d’une  plus grande justice électorale. Aux modes de scrutins majoritaires vont s’ajouter  de multiples scrutins proportionnels  mais devant leurs limites et leurs imperfections  réciproques on s’ingéniera à mettre en place  des modes de scrutin mixtes qui ont l’avantage d’ajuster les déformations électorales des uns et des autres. Le recours de plus en plus à la technique des seuils électoraux va davantage compliquer l’équation électorale même dans les milieux les plus  avisés. C’est dire finalement que l’ ingénierie  de comptabilité électorale est non seulement toujours en quête de perfection mais surtout qu’elle a toujours été un outil de stratégie politique  pour la fabrication des champs partisans et politiques variables  en fonction des rapports de forces entre les acteurs politiques au sein de  chaque Etat. Les modes de scrutin s’accommodent  plus ou moins  à la culture et à la composante sociologique de chaque peuple et à la géographie de chaque pays. Un mode de scrutin qui s’avère valable dans un pays peut ne pas l’être automatiquement  dans un autre pays. Quelque soit le degré de sa perfection, un mode de scrutin ne peut pas se réduire en  une simple mécanique électorale transformant des voix en sièges, il dépend en large partie aussi bien de sa combinaison avec d’autres subtiles techniques politiques telle que le découpage électoral que  de l’usage qu’en font les acteurs du jeu politique et de sa réception par le corps électoral sans oublier bien évidemment les desseins de la stratégie électorale des pouvoirs publics.


       * Publié in  REMALD n°109-110, Mars-Juin 2013.

1)       Voir à ce propos B.Dolez : « Les systèmes électoraux » in « Les aspects récents du droit constitutionnels » in Collection Forum des juristes n°11, Tunis 2005.

 


         Au Maroc,  dés l’aube de son indépendance, les pouvoirs publics ont opté pour le mode de scrutin uninominal à un seul tour  en raison de  sa simplicité et aussi pour  des considérations d’ordre politique (création de nouvelles élites politiques pour le Maroc indépendant) mais surtout culturel et sociologique (le taux considérable d’analphabétisme et de ruralité). Après  une quarantaine d’années de l’application de ce mode de scrutin , le Maroc  avec l’expérience de « l’alternance consensuelle » en  1998 va convertir son mode de scrutin majoritaire à un seul tour en mode de scrutin proportionnel au plus fort reste jugé plus juste et plus adapté aux changements politiques et sociologiques que le Maroc a connu depuis lors. Le mode de scrutin majoritaire à un tour appliqué à un Maroc de 10 millions d’habitants avec une population rurale atteignant 70% ne peut plus être appliqué à une population de plus de 30 millions avec une  nette urbanisation Mais au-delà de ces changements dans la mécanique électorale, le mode de scrutin au Maroc obéit-il à une logique cohérente intrinsèque à tout système électoral ou bien n’est il pas en fin de compte que l’expression d’une représentation volontariste voire consensuelle plutôt que le reflet réel des différentes sensibilités politiques ?   Les effets de tels modes de scrutin sur le champ politique marocain  ont-ils une signification particulière? Par quelle technique électorale peut-on relativement rationnaliser le champ partisan marocain ?

       Dans cet essai, nous allons analyser les impacts des différents modes de scrutin utilisés sur le champ  politique  au Maroc et voir dans quelle mesure on peut leur attribuer une certaine intelligibilité avant de proposer le mode de scrutin qui nous parait le plus apte à résoudre l’équation électorale au Maroc.

 

I - LES  EFFETS DU MODE DE SCRUTIN  MAJORITAIRE A UN TOUR :   (1963-1997).                                                          

      Le mode de scrutin majoritaire à  un seul tour, malgré le débat qu’il a suscité entre les acteurs politiques à l’époque (2), a été consacré lors des premières élections communales en 1960. Depuis, il a été appliqué  au cours  de toutes les élections au Maroc, notamment les élections législatives de 1963, 1970, 1977, 1984, 1993 et 1997. Ces élections, malgré les contextes politiques différents dans lesquels elles se sont déroulées, ont été marquées certes par des constantes qu’on s’efforcera d’appréhender mais aussi par des résultats qui  paraissent  à plus d’un titre déroutants.

 

2)       Le Palais était partisan du scrutin majoritaire à un tour, l’istiqlal pour le scrutin majoritaire de liste enfin le parti de la choura et l’istiqlal pour un scrutin proportionnel, voir B.L.Garcia in « Les élections législatives depuis 1960 jusqu’à nos jours »,p.23 traduit de l’espagnol en arabe, ed. Azzamane, 20007, Casablanca.

 

 

 

A-      ELECTIONS LEGISLATIVES ET MODES DE SCRUTIN MAJORITAIRE  A UN TOUR      

       M. Duverger a élaboré une théorie très célèbre dans laquelle il a relié de façon assez systématique le système des partis aux modes de scrutin. A partir de l’observation notamment des régimes anglo-saxons et scandinaves, M.   Duverger a établi ainsi dans son livre « Les partis politiques » trois grandes lois sociologiques (3).  Certes si l’on peut admettre que ces trois lois sociologiques mettent en lumière les effets possibles des divers systèmes électoraux, il ne faut pas leur donner une valeur absolue. L’influence indubitable des systèmes électoraux sur le système des partis politiques ne saurait être toujours déterminante ni exclusive. Il faudrait  prendre en considération d’autres éléments comme on la déjà vu notamment l’élément sociologique, culturel, géographique…et le découpage électoral.  Ces lois sont donc plus tendancielles qu’absolues. Toutefois, elles peuvent nous éclairer sur la logique des lois électorales.

        Prenons la loi qui nous intéresse dans le cas du Maroc à savoir le scrutin majoritaire à un tour. Selon M. Duverger, ce scrutin tend au dualisme des  partis c’est à dire au bipartisme tel qu’il fonctionne en Grande Bretagne et aux Etats-Unis. En effet, il oblige les partis à se regrouper dès le début et conduit progressivement au bipartisme ou à la bipolarisation de la vie politique. Les partis appartenant à la même famille idéologique doivent se regrouper, voire fusionner, pour devenir majoritaires, sous peine de disparaître de la scène politique et électorale ou de jouer qu’un rôle très secondaire.

        Dans le cas du Maroc, la seule  tentative de regroupement des partis pour se rapprocher d’un tel résultat   remonte aux premières élections législatives de 1963 avec le Front de défense des institutions constitutionnelles (FDIC) d’un coté qui a obtenu 69 sièges et le Parti d’Istiqlal et l’Union Nationale des Forces Populaires (UNFP) qui ont remporté respectivement 41 et 29 sièges. Par la suite, le mode de scrutin majoritaire à un tour a donné des effets pervers et en contradiction totale avec la logique et les effets possibles de ce scrutin sur le champ partisan.


3)       M.Duverger : Les partis politiques, A.Colin, 8ème éd, 1973.

 


           Les élections législatives de 1970 organisées  sous la parenthèse constitutionnelle de 1970 ne peuvent être  prises en  considération du fait qu’elles ont été boycottées par la quasi ensemble des partis politiques (4).

           Lors des élections législatives de 1977, l’apparition des « sans partis politiques »  et d’autres nouveaux partis  notamment le Rassemblement National des Indépendants (RNI) en 1977 et le Parti National Démocratique (PND)  issu d’une scission de ce dernier en 1981  va encore fractionner le champ partisan au lieu de le regrouper. Ainsi les sans partis ont enlevé la majorité avec 81 sièges alors que le Parti d’Istiqlal n’à   remporté que 44 sièges, l’USFP (ancien UNFP) 16 sièges, le Mouvement Populaire (M P) 29, le Parti du Progrès et du Socialisme (PPS) un seul siège, le Mouvement populaire démocratique  constitutionnel (MPDC) et le Parti du travail 2 sièges chacun.

             Les élections de Septembre 1984  ont donné une nouvelle redistribution de la carte politique notamment avec l’arrivée en force d’un nouveau parti  l’Union  constitutionnelle (UC) qui a   récolté en un temps record plus d’un million de voix, ce qui représente 24,79% de l’ensemble des suffrages exprimés avec 55 sièges, le RNI 38 sièges, le MP 34 sièges, l’Istiqlal 23 sièges, l’USFP 34 sièges , le PPS 2 sièges et l’OADP  un siège….. Dans cette configuration de 12 partis, cinq partis ont  gagné 85, 32% de voix, alors que seulement 14,67% de voix ont été répartis entre tous les autres partis restants.

             Les élections législatives de 1993 organisées sous l’empire de la constitution révisée de 1992 dans un contexte particulier de préparation de l’alternance vont dans le même sens  du  fractionnement en répartissant les sièges entre les partis de la Koutla démocratique qui  ont  gagné 99 sièges (PI. 43, USFP. 48, PPS. 6, OADP. 2) et les autres partis restants qui ont  remporté 116 sièges (RNI. 28, UC. 27, MP. 33, PND. 14, MNP. 14).


4)       Sauf les deux mouvements populaires ont participé aux élections législatives.

 

 

             Enfin, les dernières élections législatives de 1997 organisées avec le mode de scrutin majoritaire à un tour n’ont pas dérogé à la règle puisque 16 partis politiques ont participé à la compétition des élections législatives. Marqué par un taux faible de participation qui atteint à peine 41, 70 %,   les résultats ont donné relativement lieu à trois  groupements de partis politiques : Les partis de la Koutla avec 102 sièges (PI. 32, USFP. 57, PPS. 9, OADP. 4), les partis d’Al wifaq avec 100 sièges (UC. 50, MP.40, PND. 10) et les formations du « centre » (note)   ont  remporté 97 sièges répartis entre le RNI. 46, MND. 19, MDS. 32. Enfin les 26 sièges restants ont été répartis entre les Islamistes (MPDC .9), le FFD. 9 et les 8 sièges restants distribués entre les trois autres petits partis.

          Comment expliquer à partir de ce panorama relatif aux élections législatives  de 1963 à 1997 l’obstination du mode de scrutin contre sa propre logique à fomenter une carte politique aussi fragmentée ?   

 

B-ELEMENTS D’EXPLICATION

           On peut à juste raison se demander  pourquoi la mécanique électorale du scrutin majoritaire à un tour,  utilisée pourtant de 1962 jusqu’à 1997 période assez suffisante pour produire les effets escomptés, n’a donné  au Maroc ni dualisme ni bipolarisation de la vie politique. Est-ce parce que la société marocaine est  trop  rebelle à toute modélisation susceptible de l’enserrer dans des paramètres logiques ? Ou bien doit on plutôt reprocher à ce mode de scrutin son «  caractère univoque, c'est-à-dire une démarche méthodologique qui insistait démesurément sur le seul aspect mécanique de l’élection. Dans cette formulation,, le système électoral était considéré comme la véritable potion magique des régimes politiques » (5). Faut-il expliquer cette  déficience de la mécanique électorale par le caractère segmentaire de la société marocaine, idée chère aux anthropologues anglo-saxons qui ont travaillé sur le Maroc aussi traditionnel que moderne ?


5)       Cotteret .J.M .et E.Claude : Les systèmes électoraux ».Que sais-je ? n°1382, PUF, 1975.

 

 

          A notre sens,  plusieurs facteurs ont contribué à cette défaillance mécanique inhérente au mode de scrutin majoritaire à un tour qui a conduit à  la prolifération des partis politiques et à la segmentation du champ politique.

        Parmi ces facteurs qui nous paraissent déterminants, on peut invoquer les multiples scissions opérées au sein des partis politiques. Inauguré par la scission de l’Istiqlal en 1959 qui a donné lieu à l’UNFP, ce mouvement   de partition des partis politiques  est devenue une constante majeure  dans l’histoire politique  du Maroc moderne  en touchant quasiment tous les partis politiques aussi bien de la mouvance gauche ou gauchisante que de la mouvance « libérale » ou islamique, notamment l’UNFP, le PPS, l’OADP mais également le Mouvement populaire, le RNI…Certes ces scissions peuvent être imputés soit à des  considérations d’ordre idéologique, soit  à l’absence de démocratie interne au sein des partis politiques, soit   à « la politique du Palais » selon l’expression de C.Pallazoli (6)...

          Cette politique du Palais ou « la main secrète du Makhzen » (7)   constitue le second  facteur qui nous parait aussi déterminant que le premier.  Conçue au début de l’indépendance,  elle a visé essentiellement  à contenir l’hégémonie du parti dominant de l’époque à savoir le parti de l’Istiqlal. En effet, «des forces concurrentes ont été encouragées discrètement mais efficacement pour limiter « la tentation totalitaire du Parti de l’Istiqlal » (8). Par la suite notamment à partir des années soixante dix, on a recours à un autre stratagème  qui consiste à créer de nouveaux partis politiques gagnants pour tuer dans l’œuf toute tentative d’un parti politique de prétendre à une quelconque hégémonie relative soit-elle   et à  inciter discrètement  à  faire imploser les partis politiques déjà existants. Cette politique du Palais a favorisé paradoxalement et contre toute logique électorale  l’émiettement du champ politique.

 

6)       C.Palazzoli : Le Maroc politique.

7)       C’est l’avis de «  l’Ecole coloniale »  mais aussi de « l’Ecole segmentaire » qui présentent  le Makhzen toujours en train de diviser pour régner .Voir à ce propos  R. Montagne in « Les berbères et le Makhzen dans le sud du Maroc », Paris, Alcan, 1930  et E. Gellner in « Saints of the Atlas », London, Weidenfeld and Nicolson, 1969 .

8)       Sehimi M, Juin 1977 : Etude des élections législatives au Maroc, p. 106, ed. Somaded, 1978.

 


 

          Le troisième facteur, nous semble-il, a trait à ce qu’on peut appeler  « l’industrie des élections du ministère de l’intérieur » (9). En effet, il ressort clairement des résultats des différentes élections législatives, à l’exception toutefois de celles de 1963 qui étaient relativement cohérentes,    qu’ils reflètent,  quand bien même lorsqu’ils sont exhaustifs , moins le poids réel des forces politiques en compétition  que les contextes politiques dans lesquels ces élections se déroulent et le degré de confiance et de tension ou de rapprochement entre le Palais et les différents partis politiques.   De surcroit, il ressort  nettement des résultats des élections que l’opération électorale au Maroc manque de cohérence et d’intelligibilité (10).  A  maintes reprises, les partis du mouvement national ont dénoncé vigoureusement  l’ingérence de l’administration dans les élections, le non  respect de la volonté populaire, l’intervention massive de l’argent et le non respect du code électoral (11). Mais le plus étrange, selon certains, c’est que les résultats des élections législatives sont devenus  en grande partie consensuels c'est-à-dire soumis aux quotas faisant l’objet de négociations entre les partis politiques et le ministère de l’intérieur (12). Ce qui   permet  d’affirmer que le système électoral n’est pas totalement compétitif, il est quasi compétitif.

        Enfin, il convient de noter l’interférence d’autres facteurs qui ont empêché plus ou moins le mode de scrutin de produire ses effets logiques notamment les caractères propres à la société : Le degré de ruralisation, le taux d’analphabétisme, la tribu….lation, «la mort lente du mouvement national » (13)… mais ce sont des facteurs bien qu’importants sont beaucoup moins déterminants, à notre sens, que les premiers.


9)        Nous empruntons cette expression à B.L.Garcia, op cit, p. 289.

10)   Ibid.

11)   Idem, p.185.

12)   Idem, p. 207

13)   C.Palazzoli op cit.

 

 


II- LES EFFETS DU MODE DE SCRUTIN PROPORTIONNEL : 2002-2011.

 

          Avec l’alternance consensuelle menée par M. A. Al youssoufi à partir de 1998, les différents acteurs politiques y compris   le ministère de l’intérieur (14) lui même    se sont  accordés   à diaboliser le mode de scrutin majoritaire à un tour et à le rendre  responsable de tous les  dérèglements de la représentation notamment sa propension à engendrer une sur- représentation exagérée du parti arrivé en tète et une sous représentation des petites  formations politiques (15). C’est donc la mécanique électorale choisie par le Maroc depuis son indépendance  qui est la cause  de tous les maux du corps électoral et toutes les tares des déformations électorales :   injustices électorales,    corruption  et fraude électorale, intervention de l’administration (16)…  C’est dans ce sillage que le choix a été   enfin porté sur la représentation proportionnelle au plus fort reste avec un seuil de 3% qui a été par la suite modifié notamment lors des élections législatives de 2011 en passant à 6% pour les listes locales et à 3% pour les listes nationales. Mais en quoi ce mode de scrutin est –il meilleur ? Pour beaucoup d’observateurs, ce mode de scrutin a  été perçu au moins au début de son application  comme étant plus juste, moins corrompu, plus modérateur, et plus fidèlement  représentatif du poids de tous les  partis petits soient-ils. Selon la troisième loi sociologique de M. Duverger, celle qui nous intéresse  dans le cas d’espèce, la représentation  proportionnelle conduit à un système de partis multiples- car les sièges étant attribués proportionnellement au nombre de voix obtenues, toute minorité a une chance d'être représentée.     Selon la troisième loi sociologique de M. Duverger, celle qui nous intéresse  dans le cas d’espèce, la représentation  proportionnelle conduit à un système de partis multiples- car les sièges étant attribués proportionnellement au nombre de voix obtenues, toute minorité a une chance d'être représentée.  

                           

14)   Voir l’interview du Ministre de l’Intérieur D. Basri in La vie économique 13-6-2001.

15)   Voir J.C. Zarka, les systèmes électoraux, ed.ellipses, 1996.

16)   Ce Sont les propos du Wali du Grand Casablanca à l’époque  D.Benhima  au Journal l’Economiste 14-9- 2001 in B.L.Garcia, op cit., p.305.

 

 

 

 

         Analysons donc les élections de 2002,2007 et 2011 à la lumière de cette nouvelle mécanique électorale  et essayons de faire ressortir les éventuels changements qu’elle a apportés au champ politique marocain. Une telle analyse est utile pour appréhender les origines des possibles défaillances du système électoral marocain. Proviennent-elles de la mécanique électorale elle-même  comme le laisse supposer les différents acteurs politiques   ou sont-elles savamment  charpentées par les ingénieurs électoraux ?  

 

            A- Elections législatives  et représentation proportionnelle :

                   Les élections législatives de 2002 ont été les premières élections qui se sont déroulées sous le nouveau règne du Roi Mohammed VI. Aussi ont-elles constitué pour les observateurs un indicateur de taille pour apprécier dans quelle mesure il ya eu rupture  avec l’ancienne politique électorale incohérente et peu crédible. Désenchantée, l’opinion publique a été vite traumatisée par la persistance des anciennes pratiques douteuses.

            De prime abord, il convient de noter que ces élections ont été marquées par un paradoxe   qui se traduit, d’une part,  par  une augmentation notable du nombre des partis politiques  en compétition qui est passé de 16  lors des élections de 1997 à 26  en 2002, et d’autre part, par la faiblesse du taux de la participation qui atteint seulement 37% dans certaines grandes villes telles que Casablanca, Fès et Tanger. Les résultats officiels étrangement émaillés  de lacunes   ont été répartis  entre 22 partis politiques. Ainsi, l’ancienne formation de la Koutla a  remporté 109 sièges  répartis entre  listes locales et listes nationales réservées aux femmes (PI.44, USFP.45, PPS. 10), les différentes formations du mouvement populaire ont obtenu 52 sièges (MP.27, MNP. 18, MDS. 7), la mouvance islamique le PJD a gagné 42 sièges, quant aux autres formations elles ont obtenu successivement les résultats suivants : le RNI.41, l’UC 16, le PND 12, le FFD 12, le PSD 6….

         En dépit du seuil de 3%,  la fragmentation politique a été  plus accentuée qu’avant puisque 31 sièges ont été répartis entre une dizaine de partis politiques. Dans une telle situation, le multipartisme généré par la représentation proportionnelle tend à être indépendant car les alliances ne présentent aucun avantage particulier.

           Les élections législatives de 2007 vont   encore accentuer  les mêmes tendances observées lors des élections précédentes de 2002. Ainsi, on va assister    à la prolifération des partis politiques qui vont atteindre le nombre de 32 mais le fait le plus marquant dans l’histoire des élections au Maroc a été sans doute le taux record d’abstentionnisme qui a atteint 63 % et le nombre important des bulletins nuls ou blancs (Parmi cinq bulletins,  un bulletin est considéré nul ou blanc) et la  diminution du nombre de suffrages de tous les partis politiques par rapport aux élections de 2002. A titre d’exemple, le MP a perdu plus d’un demi-million de suffrages, l’USFP 450.000, l’Istiqlal, le PJD et le RNI 100.000. L’autre fait marquant a été l’arrivée en force des Islamistes  qui sont arrivés en second rang après l’Istiqlal avec 46 sièges, le grand perdant de ces élections c’est  sans doute l’USFP  qui s’est positionné en cinquième rang avec 38 sièges. 

          Les élections législatives de 2011, malgré l’élévation du seuil électoral à 6%  qui  devrait en principe réduire le champ partisan à quelques cinq ou six grandes formations politiques,  vont connaitre davantage d’émiettement de la carte politique et la multiplication de partis politiques ,  notamment avec l’arrivée en force d’un nouveau parti politique  le PAM qui va remporter dans sa première expérience aux élections législatives 47 sièges, et se ranger en quatrième position bien avant l’USFP avec 39 sièges et le MP avec 32 sièges. Mais le fait saillant  a été le grand triomphe du PJD qui a  enlevé 107 sièges creusant un écart de 47 sièges avec  le second parti de l’Istiqlal qui a gagné difficilement 60 sièges.

           Il ressort clairement de ces élections législatives avec le nouveau mode de scrutin proportionnel que le Maroc s’enfonce encore plus dans la dérive de la fragmentation politique et la prolifération accélérée des partis politiques  conjuguées à ce double phénomène inquiétant  à savoir l’amenuisement du taux de participation et le rétrécissement du volume du corps électoral. Aussi est il nécessaire à notre sens d’envisager une autre politique électorale susceptible de freiner les effets pervers et  insolites des mécaniques électorales.

 

B-    POUR UNE NOUVELLE POLITQUE ELECTORALE.

        Il apparait à  partir de l’analyse des élections législatives de 2002, 2007 et 2011 que l’application d’un nouveau mode de scrutin, en l’occurrence la proportionnelle à plus fort reste avec des seuils de 3% puis de 6%, n’a guerre amélioré le champ politique marocain  qui souffre de fractionnement incommode. Il a contribué bien au contraire  à une plus grande fragmentation politique en débouchant sur un multipartisme anarchique. Plus surprenant encore, les résultats n’ont pas été bien différents dans le fond de ceux provenant du scrutin uninominal à un tour utilisé auparavant. Certes, cette situation est due, d’une part, à la culture politique ambiante qui  n’a  apparemment pas beaucoup  changé étant donné que  le vote se fait beaucoup plus pour les personnes que pour les partis politiques mais elle est due en grande partie aux facteurs signalés plus haut.

           Le plus grave est à notre sens le taux d’abstentionnisme qui prend des proportions alarmantes. Cet abstentionnisme,   loin d’être gratuit ou superflu, revêt une signification politique profonde. Non seulement il constitue un avertissement   et une  condamnation sans ambages  de la classe politique toute entière mais aussi une manière de contester les règles du jeu politique telles qu’elles fonctionnent et  la politique telle qu’elle se fait et s’accomplit au Maroc.

           Il  va de soi que les citoyens, après plus d’un demi-siècle d’élections au Maroc et devant un champ politique aussi segmenté, l’inflation et la ressemblance des partis politiques, les multiples ratages électoraux, la fabrication des pseudo-programmes électoraux quasi identiques, les promesses politiques non tenues  et l’incohérence des  coalitions  gouvernementales, sont perplexes dans leurs choix politiques et ne savent pas à quel saint se vouer. Ils préfèrent s’abstenir que de participer à un jeu biaisé. Cette attitude de désertion est cependant dangereuse car elle tue l’espoir  de la politique au Maroc et prépare le lit à tout genre de déviationnisme et d’extrémisme.

               Aussi, nous parait-il, il est nécessaire d’adopter une nouvelle politique électorale mettant l’accent sur la clarification, la cohérence  et l’intelligibilité  de la carte politique marocaine. Une telle politique ne serait concluante que si l’on adoptait un mode de scrutin qui permettrait de rationnaliser le champ partisan  en engendrant   le regroupement des partis au sein de deux ou trois pôles politiques.  En effet le système majoritaire à deux tours  tend selon la formule de M. Duverger à un « multipartisme tempérée par les alliances ». On parle dés  lors de multipartisme «polarisé» c'est-à-dire avec  deux ou trois pôles en incitant les partis d’orientation voisine à conclure des alliances électorales devant déboucher sur des coalitions de gouvernement cohérentes. Certes, il n’ya pas de « bon » scrutin mais ce système qui permet aux électeurs de ne « voter utile » qu’au second tour,  tend à éviter «la brutalité » du scrutin majoritaire à un tour et à contourner l’insoutenable légèreté de la proportionnelle et  la ruse et l’extrême complication des seuils électoraux.

             Cette réforme électorale s’inscrit bel et bien  dans le nouveau cadre constitutionnel de 2011 qui fait du Roi « le chef de l’Etat et son Représentant Suprême » mais surtout l’« arbitre suprême  entre ses institutions (de l’Etat) » (17) et du chef du gouvernement  celui appartenant au  parti politique arrivé en tète des élections législatives (18).  

                La réussite de  ce mode de scrutin majoritaire à deux tours   dans le champ politique marocain est conditionnée par plusieurs paramètres indispensables. En premier lieu, le  candidat gagnant, dans le cadre de ce système électoral, doit recueillir outre la majorité absolue un nombre de suffrages correspondant au moins au quart des   électeurs (19) à fin d’éviter qu’il ne représente qu’une petite minorité des électeurs inscrits notamment lorsque le taux d’abstentionnisme est élevé. En  second lieu, il doit être appliqué sur la base d’un découpage électoral équitable  prenant comme critère essentiel l’égalité des circonscriptions électorales et conjugué à une mise à niveau démocratique des partis politiques et à une moralisation de la vie politique. Autant de mesures qui auront  avec le temps  l’effet escompté c'est-à-dire simplifier le champ politique et le clarifier pour permettre au citoyen de ne pas se  perdre dans les labyrinthes d’une carte politique  sans visibilité et incohérente et permettre aux partis politiques  de conclure des alliances au second tour.  Cette idée qui n’est pas nouvelle dans l’histoire politique marocaine   (20) permettrait aux citoyens de  se réconcilier avec la politique et de renouer avec la participation à la vie  publique. Mais le succès d’une telle    mécanique électorale ne peut se réaliser pleinement que si elle fonctionne de manière relativement autonome loin des machineries et de ruses des ingénieurs électoraux. Mais est ce possible ? Il s’agit là d’une autre problématique. 

17)   L’article 42 de la constitution de 2011.

18)   L’article 47 de la même constitution.

19)   C’est notamment le cas en France.

20)   Le Roi Hassan II a été au début  favorable à « un système de balance à deux plateaux » mais par la suite en 1966 il a souhaité un système tripolaire, Voir notre ouvrage « Alternance et démocratie », ed Taha Hussein, Oujda, 2000.  

 

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